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Alexander. 2017

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Alexander. 2017 Empty Alexander. 2017

Message  claudine Jeu 29 Mar 2018 - 17:46

La tempête fait rage. Les murs de la vieille maison tremblent. La mer est démontée. On sent les coups de butoir des vagues se répercuter dans toute son ossature. Les plages de Kerminihy, Kérouriec, Kérhillio et jusqu'à Quiberon auront une nouvelle  fois changé de physionomie après ce énième coup de tabac. Cet hiver aura été particulièrement rude pour les plages du littoral breton. La mer gagnera quelques centimètres sur les terres.
Le bruit est assourdissant.
Engourdissant.
La femme est là.
Seule dans sa grande bâtisse du bord de mer, entre Etel et Erdeven.  
Elle est née là, dans ces murs. Sa mère aussi. Elles ont vécu là, toutes les deux, les dernières années de sa vie, après la mort du père.
Elle avait de l'allure cette grande demeure du temps de sa splendeur. Elle a connu ses heures de gloire dans les années trente. L'argent ne manquait pas, alors, pour entretenir sa prestance. Elle a passé, sans dommages, la première guerre mondiale et a subi fièrement la seconde, juste quelques dégradations dans son beau jardin donnant sur la plage. La vue sur l'océan est toujours aussi splendide. Juste enlaidi par la construction de quelques blockhaus construits sur la côte. Pour elle, ils sont beaux, ils lui rappellent son bonheur perdu.
Une différence notable, toutefois, construite à cent cinquante mètres de la plage, la demeure se trouve désormais à moins de cinquante mètres. Le mur de clôture parsème la dune à ses pieds. Les enfants aiment faire de l'escalade dessus dès que les beaux jours reviennent. Les enfants de passage, pas les siens. Elle a coiffé catherinette, la femme, et elle est restée seule. Sa vie se termine. Elle n'a plus les moyens d'entretenir son toit. Pour qui ? Pourquoi ? La lignée s'éteindra avec elle.
Elle est dans son vieux canapé, devant le balcon.
Elle ne voit plus la mer. Elle fait partie du décor. Elle ne l'entend même plus en ce dernier jour.
Elle ferme les paupières. Elle pense. À lui, aux autres. Ses souvenirs passent devant ses yeux. Ne dit-on pas qu'à l'instant de sa mort on voit sa vie défiler dans sa tête. Si seulement, cela pouvait être vrai !
C'est son grand-père, gouverneur de la banque de France qui a fait construire cette villa au début des années mille neuf cent. Il gagnait bien sa vie et comme il adorait cette région de la Bretagne, dont il n'était pourtant pas natif, il avait jeté son dévolu sur ce terrain en bordure de plage. Bien avant les congés payés, il passait régulièrement des vacances dans ce coin de paradis. De maison de villégiature, elle est devenue maison de famille. À sa retraite, il s'y est installé avec sa femme et son dernier fils. La maison était grande et deux appartements furent aménagés. Un, au rez-de-chaussée, l'autre au premier étage. Le second étage, d'abord grenier, fut à son tour transformé en chambres pour loger les petits enfants lors des vacances scolaires. La vie était douce, sans souci particulier.
La première guerre a semé son ivraie. Le fils aîné ayant l'âge de se faire tuer, dû partir la faire. Il eut le bonheur de revenir vivant. Sa jambe droite ne l'avait pas suivi. Le fils cadet fut appelé à son tour. Il eu moins de chance. Sa plaque de soldat trône toujours au dessus du guéridon de l'entrée. La tristesse cohabitait désormais avec la joie éphémère des enfants heureusement insouciants.
Les années avaient passé et le temps fait son effet. Il y eut des moments de joies. Des fiançailles, des mariages, des baptêmes. Des deuils, des veillées. La vie avait repris !
Mille neuf cent quarante est arrivé, accompagnée des allemands. Ils ont construit le mur de l'atlantique. Des blockhaus, des tobrouks, (Les tobrouks, postes de direction de tir. Petits abris ouverts sur l'extérieur, dans la partie supérieure, par un trou. Il pouvaient être modifiés pour permettre l'installation d'une tourelle de char de modèle ancien ou de prises de guerre.) ont commencé à pousser comme des champignons dans les dunes.
Les soldats n'étaient plus envoyés en pâture sous le feu de l'ennemi et la famille fut moins marquée que pour la première guerre, malgré les bombardements incessants sur Lorient et sa base de sous-marins, pourtant tout près.
La femme, elle, vivait une toute autre histoire. Certes moins glorieuse, mais pour elle, beaucoup plus importante.
Il est allemand !  
Elle l'a sauvé lors d'un bombardement. Il était si apeuré qu'elle l'a pris dans ses bras pour le réconforter. C'était un gamin envoyé trop tôt à la guerre. Elle n'avait que six ans de plus que lui mais elle se sentait forte pour deux. Elle connaissait la région comme sa poche. Elle l'a caché pendant des mois. Ils se sont aimés en secret. Ils ont vécu leur idylle à l'abri des regards pendant plus d'un an. Ils ne voulaient qu'une chose que cette guerre s'arrête pour vivre au grand jour.
Un matin elle est arrivée à la planque. Toute joyeuse comme à son habitude, elle chantonnait. Depuis le jour de leur rencontre, elle vivait sur un petit nuage. La fin de la guerre avait été signée et même si les tirs continuaient dans la poche de Lorient, sa gaieté avait redoublé. Ses parents s'en étaient aperçu. Ils lui avaient posé des questions. Elle répondait toujours par une pirouette. Ils profitèrent simplement de la joie de leur fille sans plus l'ennuyer.
Ce jour du vingt neuf août mille neuf cent quarante six. Le soleil a disparu de ses yeux.
Il gisait sur le sol. Une flaque de sang près de la tempe. Elle est tombée à genoux à ses côtés. Momifiée.
A-t-elle crié ? Combien de temps est-elle restée là ? Elle ne l'a jamais su.
Comment s'est-elle retrouvée chez elle ? Elle ne l'a jamais su.
Où est-il enterré ? Comment à-t-elle survécu ? Elle ne le sait toujours pas.
Aujourd’hui, en deux mille dix sept, elle est perdue dans ses pensées, dans sa vie. Elle a toujours près d'elle, sa photo. Tous les jours, depuis soixante dix ans, elle l'a regardée.
Encore maintenant, elle la regarde. Elle voit moins bien. La photo a vieilli. Il ne lui manque que le son de sa voix qui s'est envolé dans la violence des éléments.
Un craquement terrifiant lui fait lever la tête. Elle ouvre les yeux. Le balcon vient de tomber, emporté par la furie du vent, et avec lui, un pan de mur de façade.
Éole entre, soulève la femme. Un sourire vient éclairer son visage.
Elle rejoint son balcon sur la mer...
Alexander l'attend !
ce texte a participé à un concours de nouvelles ayant pour thème : un balcon sur la mer . Il n'a rien gagné Wink

claudine

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Date d'inscription : 16/03/2010

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