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Le crayon assassin. 2017

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Message  claudine Jeu 29 Mar 2018 - 17:49

Tout avait commencé à l'école primaire.
Depuis l'âge de huit ans, il écrivait. Ce fut d'abord son journal intime. Il s'était inventé un ami imaginaire et plus que lui parler, c’était déjà un taiseux, il préférait prendre un stylo pour discuter au fil des pages blanches de son cahier d'écolier. Cahier qu'il prenait soin de cacher dans un coin de sa chambre. Plus exactement dans le coffrage des tuyaux de chauffage qui passaient le long des plinthes. Il avait repéré un endroit où il manquait des clous mais où le couvercle improvisé tenait simplement par une encoche, à croire que bien avant qu'il ne vive lui-même dans cette vieille bâtisse, un autre personnage c'était déjà servi de cette cachette pour y glisser quelques trésors. Dans son esprit de jeune garçon à l'imaginaire fertile, c'est ce qu'il aimait penser, il avait d'emblée adoré cette cache. Ne serait-ce pas elle, d'ailleurs qui aurait fait germer dans son esprit, l'envie d'écrire un journal.
Ce besoin de tenir un stylo ne l'avait jamais quitté. Il continuait.  Il avait fini par quitter sa maison d'enfance, laissant sa planque vide, mais sa valise pleine au quart de cahiers couverts de son écriture. Écriture qui avait évoluée au fil des années. Il n'écrivait pas tous les jours, sauf cas d’extrême besoin. Disons que ses écrits se résumaient à un travail hebdomadaire. Le plus souvent un dimanche, soir ou matin. Il avait quitté cette maison à vingt ans passés et il avait pris un réel plaisir à replonger dans ses souvenirs à cette occasion. Par la suite, ses textes n'étaient plus cachés mais simplement rangés dans un carton étiqueté « cahiers ». Il y retrouvait quelques faits qu'il avait dû trouver marquants à différent âges et qui à la relecture semblaient bien insignifiants. Malgré tout, il les trouvait toujours emprunts d'une certaine émotion.
Au fur et à mesure du temps qui passait, ses récits s'étaient faits moins fréquents mais plus denses. Ce n'était plus de simples narrations d’événements ayant une grande importance dans le déroulement de sa vie. Désormais,on y trouvait des virages ayant changé les choses, bouleversé sa vie, de manière positive ou non. Tout n'est pas rose !
Dans leur grande majorité, ces virages étaient positifs. Dans la vie, c'était un éternel optimiste. Écrire toute sa vie des choses positives attire le positif, efface le négatif. On trouve toujours une étincelle de bon à tout événement, même à priori terrible. Une maladie qui vous cloue au lit vous permet de réfléchir à ce que sera votre futur, votre après. Vous en profitez pour faire ce que vous n'avez jamais pris le temps de faire. Un handicap physique vous oblige à faire travailler quelque chose que vous ne croyiez pas posséder pour continuer à avancer. Le décès d'un être cher peut être une délivrance pour lui, s'il souffrait... Il y a toujours une petite étincelle de positif. Il suffit d'ouvrir les yeux pour l'attraper au vol !
On pouvait donc lire dans sa prose comment il avait fêté son bac avec mention en compagnie de ses amis du lycée. On lisait les traces de ses premières amours, d'abord platoniques, puis plus sensuelles et déjà celles plus épistolaires qu'il avait vécues avec une dénommée Anastasia, une correspondante russe qu'il n'avait jamais rencontrée. Un regret ?
La rencontre de sa première compagne de route avec qui il n'avait pas vu le temps passer. Il n'avait pas vu, qu'alors, absorbé par la santé de son père, il s'était mis une charge sur les épaules, trop importante pour lui. Il n'avait pas compris qu'elle en pâtissait. Elle était partie. Il avait entendu ses doléances. Il avait compris son erreur. Il avait coupé les liens néfastes avec son paternel, sans l'abandonner pour autant. Il avait réussi à attraper l'étincelle ! Depuis il vivait libre !
Il avait rencontré sa dernière épouse dans des circonstances troublantes, étranges. Étrange pour le commun des mortels, mais pour lui, à qui il était déjà arrivé bien des aventures depuis le jour de sa naissance, (il avait hérité du sang de ses grands-parents, un cas sur cent mille) cette rencontre ne lui avait pas semblé extra-ordinaire. De son coté, elle avait eu du mal à vivre cette parenthèse. Bien des années plus tard, il y avait toujours, dans un coin de son cerveau, cette petite lueur de culpabilité qui la rongeait insidieusement.
Pour qui les connaissait, ils vivaient heureux et amoureux. Ils avaient une belle famille avec deux beaux enfants et ils auraient bientôt des petits-enfants. Tout était parfait dans le meilleur des mondes. Depuis quelques années,  il s'était mis à écrire des romans qui connaissaient un certain succès à l'échelle régionale. Un matin, il décida d'écrire son histoire en allant piocher dans tous ses souvenirs. Il y avait donc leur rencontre. Il en parla à sa femme. Elle était favorable à l'idée mais elle voulait le lire avant la publication, toujours cette petite sonnette d'alarme au tréfonds de son âme. Elle pourrait, le cas échéant, le dissuader d'éditer ou lui faire modifier certains passages. Il était d'accord sur le principe, bien sûr, et il se mit au travail sans attendre. Deux mois plus tard, satisfait de son premier jet, il le donna à lire à son épouse pour obtenir son aval.
Au fur et à mesure de sa lecture, il l'a voyait changer. Elle se renfermait, se recroquevillait. Elle ne lui disait absolument rien, aucun commentaire. Ils ne se parlaient plus. À la dernière page, il la vit prendre le manuscrit et sans un mot, le jeter dans la cheminée. Son visage s'éclaira d'un sourire en le voyant se consumer dans les flammes.
Tu n'as pas aimé ?  fut la seule question qu'il lui posa.
Elle se retourna et son regard le fusilla.
Tu ne vas pas oser faire paraître ce torchon. Comment as-tu pu écrire de telles horreurs. Comment as-tu pu penser avoir mon assentiment pour ce ramassis d'ordures ! Je ne pourrai plus sortir dans la rue, ni me regarder dans une glace si tout le monde connaît mon histoire. Non ! Tu n'éditeras pas tes mémoires sous cette forme ou tu attendras ma mort. Supprime le chapitre me concernant, je t'en conjure, si tu ne le fais pas, je ne présume pas de l'avenir de notre couple, de mon avenir. Si tu m'aimes, ne serait-ce qu'un tout petit peu, écoutes-moi ! »

Il ne rendit pas les armes si facilement. Ils discutèrent des heures. Il ne comprenait pas son point de vue. Que trouvait-elle à redire aux faits qu'il décrivait. C'était leur rencontre. Ils s'aimaient toujours depuis.
Cette rencontre, elle avait eu lieu juste après un viol collectif qu'elle avait subi lors d'une fête un peu arrosée avec des copains. Il l'avait désignée à ses trois amis et leur avait demandé de la violer « gentiment » pour lui permettre de se présenter en sauveur et de la conquérir. Elle lui avait tapé dans l’œil, mais lui n'avait pas l'air de l'intéresser du tout. Alors, il avait imaginé...
C'est vrai qu'il avait profité du spectacle un peu plus longtemps que prévu et qu'il avait pris des photos. Il s'était glissé en elle, doucement, tendrement, lui aussi, avant de lui tapoter les joues pour qu'elle revienne à elle et lui dire qu'elle ne craignait plus rien. Bien des années plus tard, il lui avait avoué son manège, mais elle était accroc à lui et après quelques jours de lente digestion, ils avaient repris le cours de leurs amours. Et comme lorsqu'on tombe de cheval, il faut remonter dessus tout de suite, il avait commencé à organiser des parties à trois, puis à quatre. Ils n'avaient jamais atteint le chiffre de quatre partenaires, on ne sait jamais, les souvenirs... Elle appréciait ces séances coquines et en redemandait. Il l'avait en quelque sorte sauvée de sa névrose en douceur. Ne devrait-elle pas être fière de lui ? Avoir envie de crier sur les toits qu'on pouvait sortir encore plus vivante d'un viol !
Il relu son manuscrit, il avait tout sur son ordinateur. Il fut d'accord pour supprimer LE chapitre. Elle fut rassurée. Il laissa passer quelques jours, assembla ses feuilles et se rendit chez son éditeur. Trois mois plus tard, celui-ci le rencontra pour lui dire que les rotatives étaient en marche. Il pouvait venir signer son contrat. Le groupe de lecteurs avait trouvé le sujet fort intéressant. Rendez-vous fut pris. Le soir de la signature, il revint chez lui avec une dizaine de volumes et une bouteille de champagne. Ils allaient fêter cela dignement tous les deux.
Tout en savourant sa coupe, sa femme feuilletait machinalement un exemplaire. Elle suspendit son geste, elle venait d'avaler de travers. Plus exactement, elle s'était étranglée à la vue du chapitre douze, imprimé tel que dans le brouillon brûlé. Il reçut le champagne et le livre à la figure et elle monta dans sa chambre.
Son livre se retrouva sur la liste pour le prix Goncourt. Il l'obtint. Il fut reçu à grand bruit dans les médias. Pour ou contre, tous les avis se mélangeaient et aucun n'étaient mitigés. La passion qu'il suscita dura quelques semaines. Le temps pour sa femme de se suicider !
Avait-il surestimé sa force de caractère ? Sous-estimé sa culpabilité ? Savait-il pertinemment ce qu'il adviendrait...
Des années plus tard le doute persiste.
Ce texte à participé à un concours de nouvelles avec pour thème : le doute. Il n'a pas gagné scratch

claudine

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Date d'inscription : 16/03/2010

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