Rendez-vous au km 20.

Je suis le premier arrivé. J’ai donné rendez-vous à Pierre et à sa femme au kilomètre 20 de la route entre Saguenay et Tadoussac. Je vais leur faire découvrir ma retraite cachée au bord du lac perdu dans la magnifique forêt rougeoyante de ce bel été indien. Les voici. On se donne des becs sonores et bien appuyés, pour le plaisir de se retrouver allié au besoin de se réchauffer.
- Personne n’a rien oublié ?
C’est parti pour l’aventure. Les deux voitures se suivent à petite distance. Nous arrivons à l’embarcadère. Le transfert des bagages jusqu’au canot se fait dans le bavardage joyeux de nos retrouvailles. Emmitouflés dans nos anoraks, nous voici tous les trois à bord du bateau. Le moteur vrombi. Nos paroles s’amenuisent au fur et à mesure que le décor défile sous nos yeux. Le bruit du bateau s’évanouie, absorbé par la beauté du paysage. Les grands érables vêtus de pourpre, de rouge et d’or, entrecoupés ça et là du vert des sapins nous laissent sans voix, moi-même habitué à en profiter tous les ans, c’est à chaque fois et chaque jour, la première fois. Au fil des heures, les couleurs changent, se muent selon la position du soleil. Quelques oies sauvages forment le V de la volupté au dessus de nos têtes. Des poissons fraient ou se pourchassent pour célébrer la vie avant le grand endormissement de l’hiver. Notre ballade de 40 minutes se termine dans un silence total. Pierre sursaute quand je lui demande d’attraper les cordages au fond du canot pour nous amarrer au ponton de rondins qui jouxte mon chalet. L’air est déjà frais et c’est avec plaisir que nous nous réchauffons près du gros poêle qui trône au milieu de la pièce principale.
- je vous fais un vin chaud ?
- avec plaisir.
Le tour du propriétaire est vite fait. C’est assez spartiate. Deux chambres avec un grand lit, une salle d’eau, des toilettes et la pièce à vivre où nous sommes. Spartiate mais confortable.
- ce soir, à dîner, j’ai prévu de vous faire du jambon à l’érable. Et une tourte aux bleuets.
- Il y a des bleuets par ici ?
- Ce sont des myrtilles pour être exact.
Discussion à bâtons rompus. Nuit de repos bien au chaud sous nos énormes couettes. Petit déjeuner sucré au sirop d’érable. Un bruit déchire le calme résiduel de la nuit.
- c’est quoi ce bruit ?
- surprise !
Un hydravion fini son vol à côté de mon canot.
- je vous présente Michel, un ami. Allez vous préparer, départ dans 30 minutes pour Tadoussac, retour demain après-midi.
- Pour quoi faire ?
- Des baleines à bosses, ça vous dit ? sur la plus belle baie au monde, celle du saint Laurent.
- Heeeeeeee, c’est parti !
Ce sont deux gamins devant un sapin de noël qui montent dans le zodiac une heure plus tard pour le safari photo de leurs rêves. Caméras et appareils tournent et crépitent à l’amble des baleines rorquals ou autres blanchons venus en nombre saluer mes amis du vieux continent. Ils ont même droit à une maman et son baleineau à 50 m à peine de l’embarcation. Nous avons compté 32 cétacés. Nous ne sommes pas assez experts pour les différenciés, et nous avons peut-être compté plusieurs fois les mêmes individus, notre guide n’est pas certain, lui non plus. Qu’importe ! L’essentiel est dans le plaisir d’avoir partagé ces moments inoubliables. Après ces 2 heures sur le fleuve, nous allons magasiner dans Tadoussac. Pierre à perdu son bonnet et nous devons lui trouver une tuque, sinon ses oreilles vont geler.
Ce soir nous dinons chez des amis.
- Pierre et Régine, je vous présente Martin et Louise.
Accueil chaleureux. Gros becs sonnants et trébuchants comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Fumet alléchant. Dégustation au repas du fameux ouananiche de pointe bleue (saumon farci de pomme de terre, œufs et persil, roulé dans de la gaze et cuit en cocotte au four dans un bain de bière et fumet de poisson) un régal !
Plus léger pour terminer, des crêpes au sirop d’érable !
Nous jasons comme de vieux amis tous les cinq une bonne partie de la soirée et c’est avec délice que nous allongeons nos carcasses fatiguées dans les grands lits offerts. Réveil. Matinée relax dans la chaleur de la maison de nos hôtes.
- bonjour et à la prochaine, les amis, revenez quand vous voulez !
Nous traversons la ville et ses maisons si quioutes (jolies) jaunes, rouges, bleues, vertes ou blanches, la petite église basse, blanche encadrée de rouge vif, la bonne humeur pour décor.
Nous retrouvons Michel qui a fait son plein de gaz avant le décollage.
Ce soir, en mangeant nos sous-marins de 40 cms, garnis de jambon gruyère et tomates, nous regardons sur l’ordinateur, toutes les belles images de nos deux jours de promenade.
La fin du séjour est arrivée. Retour à Montréal. C’est promis, Pierre et Régine reviendront pour le temps des sucres, en avril. Nous ramasserons les chaudières le long des troncs, nous préparerons le sirop en cuisant l’eau d’érable pour qu’elle se transforme en sirop et nous en ferons des orgies tous ensembles, dès qu’il aura refroidi sur la neige. A nous la première tire de l’année, les œufs cuits au sirop, les beignets dans la cabane à sucre. C’est en salivant déjà que nous nous quittons.
Bonjour, à bientôt.
Le réveil sonne. Je me lève. Je bois mon café. Le ciel est gris et froid. J’ai envie de me recoucher. Je pars au boulot. Arrêt au bar chez Lucienne pour un p’tit noir, avant l’usine, à Clignancourt.
- salut Pierre. C’est vendredi 13 aujourd’hui, on gagne au loto. J’ai fait un rêve prémonitoire, c’est au kilomètre 20 que nous nous ….