Flash-back. 2017

Le cœur de l'église bat doucement. La maison n'est pas tout à côté et quelque fois, le vent emporte ses notes dans son tourbillon. J'ai compté trois coups. Le yeux ouverts, dans mon lit, je revis ma dernière promenade au fil de l'eau.
Sur le ruban des conches du marais poitevin, je laisse filer ma monture. Seul, le bruit de la rame plongeant sous les lentilles vertes, ajoutant de la couleur à ce lieu si pittoresque, trouble la quiétude de cet éden. Les oiseaux , comme multitude de fleurs multicolores, jouent une symphonie rythmée par le coassement des rainettes. Allongée sur mon bateau, tel un tapis volant, je me laisse dériver lentement sous la voûte émeraude des arbres. Je laisse les doigts effilés des frênes et autres essences, me caresser, de façon presque sensuelle. Ah, l'adolescence ! Le plafond azur apparaît sporadiquement dans les trouées du feuillage. Le parfum de la terre titille mes narines dilatées par toutes ces effluves, comme en attente d'un orgasme végétal. Subitement, elles se referment au contact du relent des bouses de vaches toutes fraîches. Tout paradis à son enfer ! La lumière change. Elle devient lumière d'or, auréolée de soies brûlantes. Je me redresse et reprend ma pagaie. Je force l'allure pour attraper cette vision féerique avant qu'elle ne disparaisse derrière les cimes enluminées. Le temps est suspendu. Il est là, flamboyant. Le souffle coupé par la magie du moment, je l'admire avant de le laisser partir.
Il est temps de rentrer.
Elle a son tablier à petites fleurs noué autour de la taille. On entend le bruit familier des cuillers en bois dans le fond des gamelles en fonte, du couteau sur la planche à découper. La cuisine bruisse de tous ces sons quotidiens et embaume. Je l'observe. Une délicieuse ratatouille régalera nos papilles un peu plus tard.
As-t-elle besoins d'aide ?
Puisque le bon Dieu m'a mise là, je peux mettre le couvert. Le bon Dieu, peu m'importe, mais je m’exécute volontiers. Quand il la rappellera, je le sais, elle restera à jamais dans mon cœur.
Je pique un baiser sur sa joue ridée.
Je t'aime grand-mère !
Je referme mon sac de souvenirs d'enfance...